A peine arrivés et dès leur premier millésime (2023), Gwennaelle et Lionel Libeyre se lancent le défi d’élaborer un blanc à partir des raisins noirs issus d’une vieille vigne de gamay d’Auvergne. Un vin insolite à ne surtout pas confondre avec celui que donne le cépage gamay blanc du Jura qui, lui, provient d’une souche ancienne de chardonnay et engendre comme il se doit du vin blanc. Le Domaine Colonat serait le premier, dans le beaujolais, à avoir créé un blanc de gamay. Il reçut pour cela le Prix de l’innovation commerciale en 2010. A la différence du Domaine Libades qui obtient sa cuvée à l’aide de charbon actif, celle de Colonat résulte d’un pressurage rapide, à basse pression, pour que la peau des raisins noirs ne teinte pas la robe en rouge.
Implantée en Auvergne, la toute jeune propriété viticole symbolise
une reconversion réussie
C’est en 2023 que l’occasion se présente, pour Gwennaelle et Lionel, d’acquérir un domaine viticole à La Sauvetat, dans le Puy-de-Dôme. 11 hectares principalement situés sur les secteurs de Neschers et Plauzat. Rien pourtant ne prédestinait le couple aux métiers de la vigne. Lionel, bac pro agricole en poche, se lance tout d’abord dans l’élevage de brebis, à Issoire, où sa famille élève des vaches laitières. L’incendie qui détruit en partie l’exploitation du jeune éleveur, le pousse à quitter la campagne pour la ville. Au CHU de Clermont-Ferrand, alors ambulancier, il rencontre, Gwennaelle, infirmière, qui deviendra son épouse.
Par la suite, le futur vigneron œuvre dans une petite entreprise de travaux d’espaces verts où l’un de ses clients, kinésithérapeute très pris par son métier, lui demande d’entretenir sa vigne. Cela m’a vraiment plu et, quand l’occasion de racheter un domaine s’est présentée, je n’ai pas hésité un seul instant, prévient l’enfant d’Issoire.
Aux 11 hectares plantés (de gamay, pinot noir et chardonnay), sur des sols très majoritairement argilo-calcaires (avec un petit peu de basaltique), se sont ajoutés 4 hectares dont 1,5 ha de syrah. Nous avons l’intention de planter du grenache voire du merlot qui entreront dans des cuvées d’assemblage, prévoit Lionel. Pour l’heure, le domaine produit 7 vins et bientôt 10. 3 blancs et 7 rouges classés en AOP Côtes d’Auvergne, en IGP Puy-de-Dôme ou en Vin de France. Quelle que soit la cuvée, le titre alcoométrique volumique oscille de 12 % à 13 %.
« Blanchiment » de gamay
En acquérant leur domaine, les Libeyre n’ignorent guère que, depuis quelques années déjà, le consommateur français boude le vin rouge (pas moi…) au profit du blanc. D’où l’idée de produire un blanc de noir, c’est-à-dire de transformer en blanc du jus rouge issu de raisins noirs de la récolte 2023, d’autant que nombre d’entre eux ne promettent pas un vin de qualité. Grosso modo, le procédé se déroule ainsi* : les raisins noirs récoltés sont mis en cuve avec du charbon actif qui absorbe la couleur. Après un premier prélèvement, si la teinte du vin ne nous convient pas, le jus repart en cuve avec du charbon actif jusqu’à ce que la couleur nous plaise, enchaîne le vigneron.
Le blanc de gamay de Libades est classé en Vin de France puisque la méthode utilisée pour l’élaborer n’est pas reconnue par les AOP Côte d’Auvergne et IGP Puy-de-Dôme. Le procédé parait également peu répandu dans la région car même la cave coopérative de Desprat Saint- Verny, basée à Veyre-Monton en Puy-de-Dôme, ne semble pas en produire. Elle regroupe 62 viticulteurs qui cultivent un vignoble de 180 hectares évoluant au gré de la Chaîne des Puys classée au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Ils amènent leurs raisins à la cave qui les transformeront en vins. Pour mémoire, Saint Verny est le nom du patron des vignerons d’Auvergne qu’il n’est pas rare de croiser à l’occasion de balades dans les villages.
Nous avons la chance de pouvoir compter sur de vieilles vignes de gamay d’Auvergne âgées de 80 à 100 ans, poursuit l’ancien ambulancier. Les vignerons souhaitent planter à nouveau ce cépage qui n’existe quasiment plus aujourd’hui dans la région. Alors les pépinières se remettent à en produire mais le temps que les greffons prennent, il faudra patienter 4 à 5 ans.
A La Sauvetat, le magasin des Libeyre vend des produits locaux, cultivés ou fabriqués dans les alentours. Des légumes de saison, des biscuits sucrés et salés fabriqués à Saint-Rémy-de-Chargnat, des pâtes de la Bourboule (pasta du Sancy), des liqueurs artisanales etc.
Les tout premiers vins de Libades, dans le millésime 2023, sont sortis de cave en mars 2025. Pour l’instant, ils sont servis à la table de La Guinguette de Saint-Amant-Tallende et en vente sur place, dans la boutique.
Des regrets ? Absolument aucun rétorque le « nouveau » vigneron ravi de sa reconversion.
Blanc de noir* 2023, Vin de France blanc
Jaune pâle à reflets dorés, le vin au nez floral, minéral (caillou mouillé) démarre en bouche par une sensation de force et de puissance. D’une intensité remarquable, ample, plein, riche et complexe, ce vin original, distingué, de forte personnalité, possède une belle densité qui s’accouple avec une jolie minéralité saline soulignée par une texture crayeuse, de la fraîcheur et de la nervosité. Acidulée, légèrement cironnée, la finale agrémentée d’une pointe de poivre blanc et de notes de poire juteuse reste tout aussi intense que l’attaque et le milieu de bouche.
Avec : gambas/mayonnaise maison, flanc aux courgettes et parmesan, truffade, Fourme d’Ambert.
16/20 – Cépage : 100 % gamay rouge à jus blanc. Vol. 12 %. Prix : 10,50 €.
Aurore 2023, Vin de France blanc
Le chardonnay qui compose la cuvée n’étant pas planté en zone AOP, elle se voit classé en Vin de France. Ce qui ne l’empêche pas d’imposer son caractère affirmé au nez comme en bouche, charmeuse, dont la salinité et la vivacité donnent envie d’y revenir. La trame dense emplit bien la bouche, dynamique, dotée de fraîcheur et de tonicité dont résulte un bel équilibre entre rondeur, alcool et acidité maîtrisée. Onctueux, poivré, ce vin nanti d’un joli corps charnu déploie des amers nobles et fins, façon zestes de citron vert, qui complètent la panoplie du parfait vin blanc d’apéro et de tout un repas autour des produits de la mer.
Avec : des gougères ou les suprêmes de volaille à la crème, épices Colombo et riz basmati de mon cousin.
16/20 – Cépage : 100 % chardonnay – Vol. 13 %. Prix : 13 €
Opale 2024, côtes d’Auvergne blanc (Vallée de la Loire)
Teinté d’or pâle le vin dévoile, à l’aération, des arômes de pomme verte, de silex, de fleurs blanches. Vibrant, à la fois charnu, tendu et particulièrement salivant en bouche, ce jus harmonieux et plein d’allant flirte avec rondeur et acidité sans que l’une ne cherche à dominer par l’autre.
Avec : volailles, rôti de veau à la crème, plats autour des fromages fondus du coin…
16/20 – Cépage : 100 % chardonnay – Vol. 12,5 %. Prix : 13,50 €
*Lionel Libeyre devait m’envoyer la description du procédé de blanchiment par charbon actif, des visuels du domaine et de l’étiquette du blanc de gamay mais j’ai fini par « faire sans », dommage…
Infos+ : domaine.libades.fr (9 Route de Clermont, 63730 La Sauvetat, Tél. : 06 46 57 87 61) ; cotesdauvergne.com ; despratsaintverny.fr
Bon à savoir :
Le vignoble s’étend sur 53 communes. Obtenue en novembre 2010, l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) Côtes d’Auvergne s’étire sur 267 hectares tandis que l’Indication Géographique Protégée (IGP) Puy-de-Dôme court sur 71 hectares, la dénomination Vin de France (VSIG) représentant environ 50 hectares. Les 4 dénominations géographiques complémentaires (DGC)** Boudes, Chanturgue, Chateaugay et Madargue sont réservées aux rouges tranquilles (non effervescents) tandis que celle de Corent est dédiée aux rosés tranquilles.
**Valorisante, la DGC -qui se trouve dans l’aire d’une AOC- cible un territoire plus restreint que l’appellation dans son ensemble. On peut également lui donner le nom de « cru ». Sur une étiquette, elle s’ajoute au nom de l’AOC. Dans le cas qui nous occupe : Côtes d’Auvergne Boudes ; Côtes d’Auvergnes Madargue etc.









